lundi 1 avril 2013

Violence et nihilisme dans le modernisme


The Tyranny of Artistic Modernism, by Mark Anthony Signorelli and Nikos A. Salingaros

( J'en propose ici un très bref résumé traduit par moi-même. La version originale intégrale est disponible sur : http://www.newenglishreview.org/custpage.cfm/frm/119633/sec_id/119633.)



Dans cet article paru en 20121, les auteurs nous entretiennent de ce qu'ils appellent le modernisme artistique. On peut y lire que l'esthétique moderniste qui règne de nos jours présente certains critères – en architecture, un manque d'échelle et d'ornementation associée à un excès accablant de l'usage de matériaux tels que verre, acier et béton brut ; dans les arts plastiques, un rejet des formes naturelles mêlé à un indéniable goût pour le dérangeant et le clinquant ; en littérature, une narration non-linéaire, un imaginaire obscur et ésotérique, et un manque de recherche formelle poétique et discursive. Autant de critères que l'on pourrait résumer ainsi : une hostilité et une méfiance envers tous les critères traditionnels d’excellence, révélés par des millénaires de culture et de réflexion ; une conception absolue de la liberté artistique, et totalement coupée des buts de son art ; et, ainsi que l'a si clairement démontré Roger Scruton, un refus d'appliquer les catégories du Beau à la création artistique ou à son appréciation.
Derrière ces nouvelles conceptions esthétiques œuvre une idéologie défendue par une part importante de la structure institutionnelle du monde occidental – universités, maisons d'édition, galeries, presse écrite, comités d'attribution des prix, etc. Et tout effort créatif relevant d'autres sources d'inspiration que de cette agression moderniste est invariablement ignoré ou catalogué comme désuet ou réactionnaire. Système totalitaire – la dictature du modernisme.
Bien sûr le règne du modernisme est sur nous depuis plus d'un siècle, et a depuis imposé ses propres règles et standards et a établi son propre canon « classique ». Il a également développé sa propre tradition. Et parce que la production artistique contemporaine – qu'elle relève du champ de la littérature, de l'architecture, de la musique ou des arts plastiques – est si évidemment inférieure à tout ce qui a été produit avant, ses défenseurs affirment qu'elle appartient per se, et uniquement, au début du vingtième siècle, que depuis le monde de la création est passé au « post-modernisme », et au-delà, et qu'ainsi toute critique de l'art contemporain est hors de propos, désamorçant ainsi par une stratégie subtile toute tentative de critique, en omettant le fait qu'une grande majorité du modernisme se complaît dans la négation fondamentale de toute complexité.
Ceci est d'autant plus remarquable que le modernisme s'est construit en tant que rejet de la tradition, comme nous le montre le credo du Bauhaus de faire table rase et de créer un art entièrement libéré du passé.
Qu'une mouvance si violemment « anti-traditionnelle » ait cristallisé dans sa propre tradition pourrait sembler paradoxal.
En fait, on sait que tout mouvement artistique génère ses propres lois et règles, mais le mouvement moderniste, en édictant les siennes, qui étaient simplement les opposées de celles qu'il remplaçait, et qui niaient la complexité de ce qu'elles remplaçaient, se firent encore plus conformistes qu'elles.
On constate, par exemple, que les architectes qui remportent actuellement des prix copient l’esthétique originellement approuvée par le Bauhaus, dont les membres travaillaient pour l'industrie allemande de l'époque pour vendre ses produits industriels : acier, verre et béton ; nos actuels « starchitectes » continuent de perpétuer ces exemples dysfonctionnels.
Si nous nous interrogeons sur ces règles, nous constatons qu'elles sont presque toutes totalement opposées à tous les principes artistiques en vigueur jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Quand la tradition envisageait la symétrie au sein de la complexité, le modernisme envisageait la simplicité extrême, la dislocation et le déséquilibre. Alors que la tradition voulait apporter du plaisir (« plaire et instruire », selon Horace), l'art moderne vise à brutaliser ou donner la nausée (cf. Jacques Barzun, The Use and Abuse of Art). Alors que l'architecture pré-moderniste usait des échelles et de l'ornement, l'architecture moderne promeut de façon agressive le gigantisme, la stérilité et l’aridité. Alors que la littérature dite-classique perpétuait les règles grammaticales, la littérature moderne recourt à des distorsions syntaxiques.
La tradition moderniste est fondamentalement en conflit avec les traditions classiques et vernaculaires. Et tout artiste qui croit que son travail peut s’accommoder de ces deux traditions se leurre, car l'esthétique moderniste a été fondée en tant que rejet et négation des œuvres passées, ce qui empêche tout dialogue en le forçant à faire un choix radical.
Car le modernisme impose une incroyable violence : voir dans l'architecture déconstructiviste les procédés qui amènent au vertige et à la nausée (surplombs sans supports évidents, bâtiments inclinés, murs intérieurs penchés, longues fenêtres horizontales qui violentent l'axe vertical défini par la gravité, etc.). On trouve une forme plus « douce » de cette violence dans les environnements minimalistes dépourvus de tout signe de vie : murs d'un blanc absolu, façades sans fenêtres ou au contraire toutes en rideaux de verre, bâtiments conçus comme des cubes et boîtes de verre ou de béton, etc. Derrière tout ceci ne réside que le désespoir, l'absence de toute beauté qui signifie la totale incapacité de ces artistes d'imaginer une réalité capable de transcender la terrible laideur du monde moderne.
Ainsi l'on constate que l'art moderne manifeste le pire de la pensée moderne – le désespoir, l'irrationnel, la haine de la tradition, la confusion de la scientia et et de la techne, de la sagesse et du pouvoir. Bref, le modernisme artistique est l'incarnation du nihilisme contemporain.
Ces manifestations de violence et le rejet qu'elles provoquent habituellement dans le public amènent leurs auteurs à constamment réclamer de façon quasi hystérique plus d' « éducation » - comprenez lavage de cerveau – pour amener les gens « ordinaires » à accepter leurs idées. De fait, l'emprise presque parfaite qu'ont les architectes modernistes sur les écoles et les universités est le facteur le plus important du triomphe de leur style : en témoignent les écoles d'architecture, où seule une poignée de cours daigne enseigner une pratique basée sur les techniques traditionnelles. Et les architectes qui osent encore utiliser dans leurs dessins le vocabulaire des traditions pré-modernistes sont dénigrés et taxés de réactionnaires. La machine de propagande du modernisme a si bien fonctionné que nous assistons aujourd'hui à une complète inversion des standards et normes artistiques.
Ajouter à cela le cynisme induit par l’appât du gain et les considérations d'ordre strictement économique...

La solution à tout cela ne se trouve pas dans un simpliste retour dans le passé, mais dans un usage intelligent des sagesses et découvertes passées, pour , s'en nourrissant, les dépasser et aller de l'avant. Car une société humaine peut difficilement croître sur un terreau fait de rejets et de négations. Il s'agit de retrouver certaines sources d'inspiration – la beauté qui anime le monde naturel, l'aspiration de l'âme humaine à l'excellence, les aperçus brefs et imprécis que nous avons d'un but caché derrière l'apparent chaos de nos existences. De grandes traditions artistiques se sont nourries de tels printemps ; et ce n'est qu'à partir de semblables printemps qu'une culture renouvelée émergera de notre époque.

  

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